Selim Mazari is talking to Michał Legień
Bonjour Selim, tu as sorti cette année ton premier disque, peux tu nous en parler?
C’est un projet qui a pour point de départ ma rencontre avec mon professeur de Vienne : Avedis Kouyoumdjian. Grand passionné de Beethoven et de cette musique si intelligente, si architecturale, ses premiers conseils d’oeuvres m’ont menés aux variations héroïques qui sont la clé de voûte de mon enregistrement. Le fait de découvrir ces cycles moins connus dans l’oeuvre de Beethoven m’a particulièrement passionné dans cette aventure.
Comment en es-tu venu au piano?
Plusieurs facteurs liés aux hasards de la vie… je viens d’une famille de mélomanes mais non musiciens, j’ai donc grandi dans l’amour de cet univers. Mais la rencontre déterminante, c’est ma voisine: étudiante au conservatoire de Paris. Avant ses examens au conservatoire, elle se preparait en organisant des petites auditions, pour lesquelles elle reunissait ses voisins et j’avais la chance d’y assister. C’est avec elle que j’ai demarré mon aventure avec le piano. Elle était élève chez Brigitte Engerer avec laquelle, quelques années plus tard, je serai amené à étudier dans le cadre de sa classe au CNSM de Paris.
Brigitte Engerer semble avoir une place spéciale dans ta vie, peux-tu nous en parler?
Je l’ai rencontré pour la première fois à l’âge de 10 ans, je lui avais joué un Nocturne de Chopin dans le cadre de ses masterclasses estivales à Nice. Elle a tout de suite été très positive et chaleureuse. Quelques années plus tard je suis rentré dans sa classe, et ai eu l’occasion de travailler avec elle chaque semaine. Elle était très exigeante, parfois cela pouvait être décourageant. J’avais à l’époque une quinzaine d’années, et étais particulièrement diletant, ce qui n’était pas concevable à ses yeux. Elle était généreuse dans tout, même dans la sévérité! Son enseignement était celui d’une école de piano Russe avec un travail toujours sur la qualité du son, de l’écoute en général. Et cela a posé des bases essentielles à mon oreille.
Tu as également eu la chance de travailler avec des personnes comme Claire Désert, Rena Shereshevskaya ou encore Dmitri Alexeev. Que t’ont-ils apporté?
Pour être respectueux de l’ordre chronologique, j’ai également travaillé avec Pierre Réach à des années importantes de l éducation d’un jeune pianiste : pour préparer le conservatoire. Il m’a transmis une passion immodérée pour Bach et Beethoven, et mon disque n’y est peut-être pas étranger. Rena Shereshvskaya a été une personne très complémentaire de l’enseignement de Brigitte Engerer. Beaucoup de jeunes pianistes de sa classe étudiaient avec elle, c’est une dame immensément pédagogue et les récents succès de ses étudiants le prouvent. J’ai ensuite rencontré Claire Désert, dans des circonstances assez tristes, puisqu’elle remplaçait Brigitte Engerer qui venait de décéder. J’ai découvert là une personne profondément dévouée à la musique et ce avec une grande humilité. Dmitri Alexeev partage également cette qualité, j’ai aimé découvrir un univers très loin de mes couleurs pianistiques tout en découvrant la ville de Londres. Tout ce mélange de cultures, personnalités artistiques, m’a permis de découvrir ce qui me plaisait chez chacun, et d’être stimulé par tant d’idées parfois opposées mais dans un but, au final, d’enrichissement très important pour un jeune interprète.
Tu as participé au festival Chopin à Bagatelle. Quel rapport as-tu, en tant que jeune pianiste, à Frédéric Chopin?
Frédéric Chopin a bouleversé l’écriture pianistique et musicale de son temps, mais a également forgé une technique qui est toujours d’actualité. Il m’est impossible de concevoir le piano sans ce compositeur, et ce, à tellement de niveaux. Tout d’abord, Chopin a donné ses lettres de noblesses à la vocalité au piano. Il cherche à tout prix à faire „chanter” le piano. De plus il élabore avec ses études une grammaire pianistique – qui est encore valable à l heure actuelle – dans deux cycles de 12 pièces qui sont des bijoux. Personnellement le Chopin qui me bouleverse est celui plus tardif de la Barcarolle, la Polonaise-Fantaisie ou encore de la 3ème sonate. Des œuvres d’une richesse harmonique, mélodique, et dont la dramaturgie ne cesse d’émouvoir.
As-tu des modèles dans la musique, des artistes que tu admires.
J’ai toujours eu une passion pour Arturo Benedetti Michelangeli, dont les enregistrements continuent de m’influencer. Dans les contemporains, j’admire de nombreux artistes pour des qualités différentes. Yo-Yo Ma pour sa générosité que j’ai eu le bonheur de connaitre à travers un petit concert. Mais aussi des personnalités comme Jean-Frédéric Neuburger, qui a été mon professeur d’accompagnement au conservatoire et dont les qualités intellectuelles, musicales et de curiosité sont tout en haut.
Que recherches-tu dans la musique?
Je ne me suis jamais posé la question…je crois que je fais de la musique car j’aime profondément cet art, et car c’est le seul qui me touche au plus profond de moi-même. Mais ce que j’y cherche, je ne saurai répondre.
Vis-tu la musique de la même manière quand tu la joue que quand tu l’écoutes.
Forcément non. Je me retrouve spectateur comme tout le monde. Enfant je souhaitais absolument avoir le privilège „d’entendre mieux” en progressant musicalement. Je ne me suis jamais senti plus à mon aise en étant plus avancé musicalement… je ressens parfois moins de choses lorsque je travaille ou lorsque que je joue en concert car je m’efforce de me concentrer sur ce qui suit. C est à dire trois, quatres mesures en avance… ce qui laisse assez peu de place au plaisir de l’écoute que l’on ressent sans jouer.
Ta compagne travaille également dans la musique. La musique est une passion qui remplie ton quotidien. As tu le temps pour d’autres occupations?
Exact, elle est pianiste cheffe de chant à l’opéra de Vienne. Et Oui, j’ai d’autres occupations ! Et c est essentiel pour moi. Je suis rempli de passions diverses et variées. J’aime évidemment lire, le cinéma, le sport également. Je ne peux me consacrer à cent pour cent à d autres activités, bien évidemment pour des questions de temps, mais cela ne m’empêche pas de me divertir.
Un ancien président de la République a dit que la musique était une forme de littérature. Qu’en penses-tu?
Je crois que l’un des aspects esthétiques de la musique réside dans l’abstraction et dans l’absence de mots (dans la musique instrumentale et non à texte évidemment). Ce qui laisse une plus grande part d’interprétation à l’auditeur que la littérature le lui permettrait. Peut-être la poésie peut atteindre parfois un aspect similaire, mais cela reste toujours lié au langage. Il y a bien évidemment de nombreux langages musicaux, mais ils restent toujours à la marge de notre quotidien. Lorsque Flaubert écrit, il utilise – certes des mots savants – un langage qui est utilisé tous les jours pour communiquer. La musique par son abstraction, revêt un caractère plus sacré car plus rare. Cela me touche.
As tu le temps de lire?
Pas assez à mon goût !
Vers quelle littérature te tournes-tu?
J’aime lire de tout…lire pour un récit comme lire pour un auteur ou pour un style. Je suis assez frustré de ne pas avoir toujours l’énergie mentale pour des œuvres plus complexes que d’autres, mais j’espère trouver le temps !
Récemment j’ai lu La Femme rompue de Simone de Beauvoir, et juste avant, le recueil de nouvelles Musique pour caméléons de Truman Capote. Mais j’aime lire également des classiques.
Y’a t’il un livre, un auteur ou des livres que tu consideres comme fondamental/aux dans ta vie?
J’ai grandi avec Victor Hugo et j’apprécie son humanisme et l’amour des plus démunis qu’il manifeste dans son œuvre. Dans un autre registre j’ai été bouleversé par les trois contes de Flaubert, dont le travail d’écriture m’a rappelé le travail que je me dis de fournir en tant qu’interprète: l’œuvre finale n’étant qu’une partie émergée de l’iceberg.
Pour terminer et en revenant à ton activité principale, la musique: quel son tes projets à venir et ou peut-on t’écouter en ligne?
La situation que vous connaissez a rendu l’année 2020 assez difficile. Mais j’ai le bonheur d’avoir de beaux projets : un concerto de Beethoven en décembre à Paris, et de nombreux projets en février dont certains retransmis sur francemusique.fr ( toutes les infos sur www.selimmazari.com)
J’essaie également de publier des vidéos régulièrement sur YouTube pour les gens qui ne peuvent se déplacer. J’espère également avoir le plaisir de jouer un jour en Pologne !